1. l'archéologue définit la problématique archéologique (séries de céramiques, contexte, premières hypothèses),
2. l'archéologue expose sa problématique à l'analyste qui la traduit en termes chimiques et évalue la faisabilité de la demande (l'archéologie biomoléculaire étant une activité de recherche en constant développement, on ne peut répondre à toutes les questions aujourd'hui). Une phase de recherche en chimie peut alors être nécessaire. L'analyste peut aussi faire appel à d'autres spécialistes, plus à même d'étudier les matériaux proposés, suivant la problématique exposée,
3. l'archéologue choisit un ensemble d'objets à étudier, représentatifs de sa problématique. Le chimiste valide les choix ou non, selon qu'il juge pertinent d'effectuer les prélèvements sur tel ou tel objet (certains objets trop fragiles ne peuvent être prélevés, ceux restaurés et recollés ils donneront difficilement des résultats exploitables...). A ce stade, la discussion est primordiale.

Archéologues et chimistes : Les étapes à suivre

En aucun cas, l'archéologue ne devrait réaliser le prélèvement seul et envoyer l'échantillon au laboratoire d'analyse pour étude. Tous les critères sont remplis pour faire échouer l'étude. La qualité des "analyses", regroupant plus généralement le choix des objets, les méthodes de prélèvement, le protocole de préparation des échantillons, l'analyse en elle-même, l'interprétation des résultats au niveau moléculaire puis au niveau des matériaux biologiques, et enfin la recontextualisation des données, repose sur le dialogue entre l'archéologue et l'analyste. L'archéologie biomoléculaire est une approche interdisciplinaire Voici un petit memorandum résumant les étapes d'une étude :

4. le chimiste effectue les prélèvements, en prenant toutes les précautions nécessaires pour ne pas introduire de pollutions,
5. au laboratoire, les échantillons subissent différents protocoles d'extraction - purification - analyse, que l'analyste aura déterminés suivant les classes de marqueurs à chercher (d'où l'intérêt de définir les premières hypothèses). Plusieurs analyses peuvent être nécessaires,
6. le chimiste "dépouille" les analyses, i.e. identifie les molécules, puis à partir d'associations moléculaires, il identifie les matériaux biologiques,
7. le rapport d'analyse est lu par l'archéologue. Ses premières hypothèses sont alors validées ou non. Les analyses apportent de nouvelles informations qui sont elles-mêmes confrontées aux données archéologiques. C'est l'étape de recontextualisation des données.

Quelles méthodes choisir ?

La matière organique est particulièrement riche et complexe, constituée de lipides, protéines, sucres, polyphénols… Aucune technique analytique ne permet une caractérisation intégrale en une seule étape. Une méthodologie d’analyse doit être définie en fonction de l’objet, des matériaux recherchés et de la qualité de l’information recherchée.

Chaque technique analytique permet d'apporter une information plus ou moins précise. Il faut différencier les techniques adaptées aux matériaux minéraux, de celles adaptées à l'étude des matériaux organiques. Une technique d'analyse minérale élémentaire (la XRF ou le MEB-EDS par exemple) ne donnera aucune information sur l'identité ou même la présence ou non d'un matériau organique. Et réciproquement : l'analyse organique ne permettra pas d'identifier un pigment minéral ou une charge. D'où l'absolue nécessité d'énoncer clairement les hypothèses archéologiques avant même d'effectuer les prélèvements (car chaque technique analytique nécessite des précautions particulières). Pour les analyses organiques, il n'existe pas de techniques non invasives qui donne des informations satisfaisantes. Il est donc indispensable de prélever. Le prélèvement pourra ainsi être préparé et analysé au laboratoire pour en extraire le maximum d'information.

Spots tests par voie humide
Test par voie humide sur extrait
Test de Fehling
Test en tube à essai sur extrait ou échantillon brut

Spot tests ou tests colorimétriques

réalisés en tube à essais en voie humide ou sur papier filtre, ils informent sur la présence d’une fonction chimique (ex. fonction alcool, cétone, aldéhyde...). Aucune valeur scientifique pour des matériaux anciens complexes qui sont constitués d'une multitude de molécules organiques, elles-mêmes constituées de plusieurs fonctions chimiques.

Ex. : A. Lentini et G. Scala (2006). Aromatic and therapeutic substances from the Prehistoric site if Pyrgos Mavrorak (Cyprus): Preliminary chemical-toxicological investigatio. In : "Aromata Cipria. L'olio d'oliva nei profumi e nei medicinali di Cipro nel 2000 a.C.", Ed. Era Nuova, Publ. M. R. Belgiorno, Perugia, p. 219-243.

obtention de 2 phases : phase aqueuse "jaune hyalin", phase organique incolore
Interprétation Lentini & Scala : résine de Pistacia terebinthus
Interprétation rigoureuse du test : aucune information sinon la présence de matière organique

le test est positif si la solution de dibrome est décolorée
Interprétation Lentini & Scala : sylvestrène et bergamote
Interprétation rigoureuse du test : présence de molécules organiques insaturées

Attention à la surinterprétation des données ! Par ces tests simples et inadaptés, on ne peut en aucun cas identifier un marqueur organique, encore moins un matériau biologique comme il est noté dans cet article (ex. identification de romarin, verveine, bergamote, etc.).

XRF portable
Analyse XRF portable
MEB-EDX
Analyse MEB-EDX
AGLAE
Analyse PIGE sur AGLAE-C2RMF

Analyses élémentaires (XRF, MEB-EDX, PIXE, PIGE...)

étant donné que la matière organique est constituée de C, H, O (N, P…), les analyses élémentaires (i.e. des éléments chimiques) n’apportent aucune information. Une analyse sous vide au MEB-EDX détecte la présence de carbone (organique et inorganique). Préférer les méthodes d’analyse organique adaptées.

Ex. : G. Donato, A. Lentini (2006). Fragrances in the ancient civilisation of the Mediterranean basin: Archaeometric studies, In : "Aromata Cipria. L'olio d'oliva nei profumi e nei medicinali di Cipro nel 2000 a.C.", Ed. Era Nuova, Publ. M. R. Belgiorno, Perugia.

Les auteurs mesurent les teneurs en Fe, Se, Cu, Mn, Zn d'huiles modernes et les comparent à celles du sédiment. Ils en déduisent :
- la recette du « Metopium (baume de Judée), du Rhodinium, du Myrtum-Laurum, du Telinum, et d'un onguent royal et du Myrrha-Aloe » retrouvée,
- des mélanges d'huile d’olive, de myrte, de calame, de pin, de laurier et de fenugrec.

Interprétation raisonnée des données :
- la composition élémentaire du sédiment ne donne aucune indication sur les composés organiques composés de C, H, et O et ne comportant aucun des éléments métalliques mesurés !
Les auteurs n'ont pas considéré les phénomènes de lixiviation post-dépositionnels, ni les apports du sédiment en minéraux (qui est d'ailleurs responsable de ces teneurs)

Attention : utiliser les techniques adaptées à vos recherches et problématiques et s'entourer des spécialistes

Amphore vinaire de l'épave de la Madrague de Giens

Spectrométrie infrarouge (IRTF)

méthode d’analyse globale détectant la présence de fonctions chimiques (acides, carbonylés, chaînes alkyles…)
Méthode de pré-analyse utile pour des macro-restes, pour savoir si de la matière organique est présente ou non, et quelles familles chimiques (lipides, résines, protéines) sont présentes

Méthode inadaptée à l’étude d’imprégnations car seul le support (céramique, pierre) donne un signal (cf P. McGovern a reconnu que le seul signal obtenu à partir des dépôts rougeâtres présents dans des vases de Godin Tepe, correspondait à la silice et à l'argile ; il était indispensable d'extraire la matière organique avant de réaliser l'analyse : McGovern, The origins and ancient history of wine, 1995).

La spectrométrie IRTF ne permet aucune identification rigoureuse de matériau organique, mais seulement des fonctions et des familles chimiques. D'où sa classification en "analyse fonctionnelle"

En 1976, F. Formenti réalisait une des premières analyses de matériaux organiques archéologiques par des techniques modernes. Lors des fouilles de l'épave de la Madrague de Giens (75-60 av. J.-C.), plusieurs amphores vinaires étaient encore bouchées. Une fois le bouchon de pouzzolane enlevé, elles laissaient échapper un liquide marron brun. L'analyse du dépôt brunâtre par IRTF a donné le spectre ci-contre. Le spectre IRTF de dépôts cristallisés brillants receuillis au fond d'une bouteille de vin rouge (Médoc, 1995) et réalisé selon les mêmes conditions, montre les mêmes bandes d'absorption caractéristiques (notamment les fonctions alcool OH en bleu, et carboxyle CO en rouge).
L'acide tartrique contient deux fonctions alcool et deux fonctions acide carboxylique. Mais est-ce pour autant le seul acide a possédé ces deux fonctions et à correspondre à ce spectre IRTF ? F. Formenti conclut prudemment à juste titre : "ce pourrait être du vin" (Formenti, F., A. Hesnard and A. Tchernia. 1978. Une amphore "Lamboglia 2" contenant du vin dans la Madrague de Giens, Archaeonautica (Paris) 2, p. 95-100).

La spectrométrie IRTF peut apporter des informations intéressantes dans le cas de mélanges de matière organique et minérale. Des analyses complémentaires, de type structurale, plus lourdes, sont cependant nécessaires pour identifier complètement les matériaux, minéraux comme organiques.

Spectrométrie Raman

Méthode très proche et complémentaire de la spectrométrie IRTF, elle consiste à irradier l'échantillon par une lumière monochromatique (faisceau laser) et à analyser la lumière diffusée. L'analyse, réalisée en surface ou à faible profondeur pour les milieux translucides, est principalement utilisée pour identifier les structures minérales, suivant leur cristallinité. En revanche la matière organique fluoresce, surtout si elle est oxydée et dégradée, ce qui recouvre souvent les bandes d'émission Raman. Des alternatives sont peu à peu développées, en mode SERS ou SERRS, notamment pour l'étude des colorants organiques naturels.
L'analyseur Raman est souvent couplé à un microscope, permettant ainsi d'analyser des micro-échantillons de la taille du micron.

S.Bruni et al. (2010). Surface-enhanced Raman spectroscopy (SERS) on silver colloids for the identification of ancient textile dyes: Tyrian purple and madder (DOI: 10.1002/jrs.2456)
Pour une revue : Casadia et al. (2010), Identification of Organic Colorants in Fibers, Paints, and Glazes by Surface Enhanced Raman Spectroscopy (article)

méthodlogie GC-MS

La complexité de la matière organique nécessite le couplage de méthodes séparatives permettant la séparation des constituants chimiques d’un mélange complexe (les chromatographies en phase gazeuse, GC, ou en phase liquide, LC) à des méthodes d’analyse structurale permettant d’identifier chaque marqueur préalablement séparé, par son spectre de masse (spectrométrie de masse, MS).

Les chromatographies GC et LC

Les techniques chromatographiques nécessitent une préparation de l’échantillon selon des protocoles globaux ou spécifiques, à choisir selon les marqueurs recherchés. Méthode précise, sensible, adaptée à des échantillons complexes, dégradés, mélangés…
Seules les molécules solubles dans des solvants organiques ou mixtes peuvent être injectés et analysés. Pour des molécules insolubles ou des polymères, on recourt à la pyrolyse. Deux techniques sont possibles :
- la pyrolyse d'un micro-échantillon à haute température (550 à 900 °C). La matière organique subit un craquage thermique. Les polymères, naturels ou synthétiques, se fragmentent en petites molécules volatiles qui sont directement injectées en GC et analysées par GC-MS. Le rendement de la pyrolyse n'est seulement que 5 - 10 % et de nombreux phénomènes parasites ont lieu pendant la pyrolyse ;
- la thermochimiolyse (ou pyrolyse assistée) par l'ajout de réactifs (hydrolysant, méthylant, triméthylsilylant). Le micro-échantillon, placé dans la chambre de pyrolyse, subit une suite de réaction d'hydrolyse douce et de dérivation, soit par méthylation (réactifs TMAH, TMSH, TMAAc) soit par triméthylsilylation (HMDS). Les mécanismes réactionnels sont contrôlés, la réaction a lieu entre 250 et 550 °C environ, suivant les marqueurs recherchés, et le rendement est quasi quantitatif (95 - 100 %).
On préfèrera la pyrolyse PY-GC-MS pour les polymères synthétiques (notamment les polyoléfines), et la pyrolyse assistée THM-GC-MS pour les molécules naturelles.

Les spectrométries de masse (MS)

La spectrométrie de masse permet d'obtenir le spectre de masse d'une molécule quand celle-ci est ionisée selon différentes méthodes (et dont dépend le nom de la spectrométrie de masse utilisée):
- par impact électronique (EI) ou ionisation chimique (CI) pour les couplages avec la GC,
- par APCI, APPI, electrospray (ESI) ou MALDI pour les couplages avec la LC.
La spectrométrie de masse peut être utilisée seule pour des échantillons purifiés, notamment en mode ESI et MALDI.
Le spectre de masse permet d'identifier chaque molécule grâce à un pic moléculaire et des ions fragments. Leur combinaison, masse et intensité, définit la carte d'identié de chaque molécule et sa structure (d'où l'appellation "méthode d'analyse structurale"). L'identification des marqueurs est alors indubitable.

l'analyse des triglycérides, marqueurs des produits laitiers et des huiles (article)

méthodlogie GC-MS

Identifier un matériau biologique

L’identification des matériaux repose sur deux étapes d’interprétation :
1) chaque constituant moléculaire est identifié par son spectre de masse,
2) les marqueurs sont regroupés en associations moléculaires caractéristiques de produits biologiques,
3) le matériau biologique original est identifié grâce aux associations moléculaires. Dans le cas de mélange, les profils moléculaires de chaque matériau se superposent,
4) aussi, des informations sont obtenues sur l’état de conservation-dégradation de l’objet, la chaîne opératoire qu’il a subi, etc.
L'interprétation des associations moléculaires est l'étape-clé. Elle repose sur une large connaissance des matériaux naturels par l'analyste, un référentiel de matériaux biologiques de référence constitué avec des botanistes, de bases de données moléculaires conséquentes au sein du laboratoire, et le recours à une comparaison continuelle des compositions chimiques des échantillons archéologiques avec celles de leurs homologues modernes, tout en tenant compte des phénomènes de dégradation naturelle, par des microorganismes du sol, de perte sélective des composés chimiques par lessivage par les eaux de ruissellement, par action de l'homme, etc. Des analyses couplées à l'archéologie expérimentale peuvent être nécessaires pour valider des hypothèses de préparation d'un matériau par exemple.

Frère D., Dodinet E., Garnier N. (2013). L’étude interdisciplinaire des parfums anciens au prisme de l’archéologie, la chimie et la botanique : l’exemple de contenus de vases en verre sur noyau d'argile (Sardaigne, VIe-IVe siècle av. J.-C.) [article]


Quantité de matière nécessaire pour l'analyse

La quantité de matière nécessaire pour l’analyse et la qualité de l'information obtenue dépendent de la technique analytique utilisée, dont le choix découle de la problématique archéologique, de l'objet, et des marqueurs à chercher :

Echantillons Spot tests IR-TF GC-MS
Macrorestes 0.1 g > 1 mg > 1 µg
Dépôts en film 0.1 g > 1 mg > 10 µg
Imprégnations invisibles inadapté inadapté > 10 mg
Informations attendues présence de fonctions chimiques identification de fonctions chimiques identification des marqueurs chimiques + identification des matériaux

L'obtention de résultats pertinents et exploitables reposent donc sur une bonne définition de la problématique archéologique, un dialogue constant entre l'archéologue et l'analyste. Le prélèvement par l'analyste est à privilégier, ce qui permet d'initier la collaboration, comprendre la demande et le contexte. L'analyste devra orienter son étude vers les techniques adaptées au(x) matériau(x) recherché(s) mais aussi à la qualité de la réponse demandée, en fonction des budgets alloués.